Faut-il en finir avec le vouvoiement?

Forme de respect et de politesse pour certains, le vouvoiement tend peu à peu à disparaître, notamment dans le monde du travail. Le tutoiement peut-il se généraliser au point de laisser le vouvoiement aux oubliettes comme c’est le cas dans certains pays? Rien n’est moins sûr!

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Depuis quelques décennies, dans de nombreuses langues à travers le monde, le vouvoiement a tendance à s’effacer, voire carrément à disparaître. En Suède, à la fin des années 1960, il y a même eu une réforme pour abolir le tutoiement. En Allemagne, le «tu» est aujourd’hui quasiment omniprésent dans les publicités. En Espagne et en Italie, le tutoiement est de plus en plus généralisé dans la rue ou dans les commerces, même entre des inconnus. En Belgique et en France, les choses évoluent, mais plus lentement.

Les temps changent… doucement

En effet, le vouvoiement est encore bien ancré dans nos sociétés. Parfois, même là où on ne l’attend pas spécialement. Originaire du tournaisis, Guillaume, 35 ans, continue de devoir vouvoyer les parents de sa compagne avec qui il est en couple depuis plus de 10 ans. Même s’ils se voient toutes les semaines, ses beaux-parents ne lui ont jamais proposé de passer au tutoiement. À son plus grand désespoir, il s’est donc fait une raison: il continuera encore longtemps à les vouvoyer. Fort heureusement diront certains, au sein des familles, le vouvoiement a désormais quasiment disparu. Au début des années 2000, dans le cadre d’une grande étude sur la bourgeoisie, le couple de sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot avait estimé que le vouvoiement subsistait encore dans 20.000 familles françaises (entre parents et enfants, mais parfois aussi entre époux), issues des classes sociales privilégiées. Aujourd’hui, elles doivent désormais être quelques milliers de moins. Mais en 2023, il y a bel et bien toujours des enfants qui doivent vouvoyer leurs parents.

Révolution dans le monde du travail

Dans certains domaines, le vouvoiement a de plus en plus tendance à laisser place au tutoiement. C’est notamment le cas dans le monde du travail. Aujourd’hui, de plus en plus d’employés tutoient leurs supérieurs hiérarchiques, voire même leur patron, ce qui était quasiment inimaginable dans les années 1980. Depuis quelques années, cela se remarque aussi dans les offres d’emploi. Selon les analyses menées par le site Indeed en France, les annonces utilisant le tutoiement ont bondi de plus de 90% en trois ans. Environ 10% des offres d’emploi dans le domaine du marketing, de la communication et du développement informatique sont rédigées en «tu». Malgré tout, ces annonces ne représentent que 3,2% des annonces totales et elles concernent surtout des postes qui ne sont pas très haut placés.

Le «vous» n’est pas encore mort

Si la nouvelle génération semble vouloir privilégier le tutoiement dans toutes les occasions, le vouvoiement n’est pas encore mort. Loin de là. D’ailleurs, il est étonnant de constater qu’en Suède, alors que le vouvoiement a été aboli il y a plus de 50 ans, des jeunes le remettent au goût du jour. «Dans les années 1980, on croyait que les sociétés européennes se dirigeaient vers un tutoiement généralisé. On s’aperçoit que ce n’est pas le cas», analyse la linguiste finlandaise Eva Havu dans les colonnes du journal Le Monde. Dans la publicité, certaines marques comme Dim ont bien tenté le «tu», avant de faire marche arrière et de revenir au «vous». Même chose pour le Club Med où le tutoiement a été de rigueur pendant des années pour s’adresser aux vacanciers avant de laisser place au vouvoiement. Une façon pour l’entreprise de redorer son image et miser sur un créneau plus «haut de gamme».

Le débat entre les défenseurs du «vous» et ceux du «tu» est parti pour encoredurer longtemps. Et c’est peut-être ça qui fait le charme et la richesse de la langue française. Pour Etienne Kern, auteur de «Le Tu et le Vous. L’art français de compliquer les choses» sorti en 2020, cette dualité nous offre un plaisir, voire une liberté, comme celle de choisir les êtres qu’on veut tutoyer ou celle d’inventer nos propres codes. Pour lui, la disparition de l’un retirerait la saveur d’employer l’autre. «En vérité, l’hésitation, le choix, le balancement entre le ‘vous’ et le ‘tu’ offre quelque chose de délicieux et d’infiniment significatif dans la conversation, dans cette politesse ou, mieux, dans cette délicatesse des rapports humains, dans l’établissement de ces nuances entre la courtoisie et l’intimité, la déférence et l’amitié, le respect et la complicité.», estime quant à lui l’académicien Frédéric Vitoux dans son «éloge du vouvoiement». Qu’on le veuille ou non, le vouvoiement semble encore avoir de beaux jours devant lui!

D’où vient le «vous»?

Pour retrouver l’origine du vouvoiement, il faut remonter au 4e siècle, lorsque Dioclétien (245-313) divisa l’Empire Romain entre Orient et Occident. «Chacun des deux nouveaux Auguste étant assisté lui-même d’un César. Quand l’un des souverains parlait non pas en son nom propre mais encore au nom des trois autres, il renonçait à l’ego, première personne du singulier, pour le ‘nos’, première personne du pluriel, et on lui répondait par le ‘vos’, deuxième personne du pluriel…», explique Frédéric Vitoux sur le site de l’Académie française. C’est ainsi que le «vous» est né. De l’italien au français en passant par l’allemand, de nombreuses langues ont ensuite introduit et utilisé le vouvoiement. L’Anglais fait figure d’exception. Dans la langue de Shakespeare, il n’y a qu’une seule façon de s’adresser à son interlocuteur, avec le «you».

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