Hollywood paralysé par la grève des scénaristes : des perspectives sombres pour l'industrie du divertissement
Si cela continue, il faut s’attendre à des années de vaches maigres cinématographiques. Depuis le 2 mai, la Writers Guild of America, qui représente près de 12.000 auteurs à Hollywood, est en grève. De grosses productions comme «Stranger Things» ou «Star Wars» sont à l’arrêt ou postposées. Cette grève dure déjà depuis presque 60 jours, mais il est fort probable que cette histoire ne connaîtra pas une fin rapide. Que se passe-t-il à Tinseltown?
Que se passe-t-il?
Le 2 mai dernier, la Writers Guild of America (WGA), le syndicat des auteurs, a arrêté le travail après l’échec des négociations avec l’Alliance of Motion Picture and Television Producers (AMPTP), les principaux producteurs de Hollywood. Depuis mars, les deux parties discutaient des conditions de travail des scénaristes. Figuraient en tête de l’agenda: un salaire minimum, des droits d’auteur et principalement aussi l’arrivée de l’IA. La WGA a soulevé le fait que l’industrie cinématographique représentait en 2021 31 milliards €, mais que ces bénéfices exorbitants ne se traduisaient pas en une meilleure rémunération pour les auteurs. Aussi longtemps qu’il n’y aura pas d’accord, rien ou pas grand-chose ne sera écrit. Des productions comme «Stranger Things» et «Abbott Elementary» sont dès lors à l’arrêt et des talk-shows faisant l’objet d’un script (Jimmy Fallon, Stephen Colbert) ne sont pas diffusés. Entre-temps, shows et films sont reportés à tour de bras: Disney a dû tout récemment remettre à une date ultérieure le prochain «Star Wars», les trois «Avatar» suivants et plusieurs «Marvel».
Quel rôle les services de streaming jouent-ils?
Les géants du streaming comme Netflix, Amazon et Hulu ont redessiné à jamais le paysage de l’écriture, poussés par une concurrence féroce. Ils injectent des budgets gigantesques dans de nouvelles séries dont ils espèrent qu’elles deviendront le prochain «White Lotus» ou «Game of Thrones». Mais cet argent n’arrive pas jusqu’aux scénaristes qui ont imaginé les séries. Les scénaristes ressentent surtout la disparition des «residuals», sortes de royalties pour les auteurs, dans leur porte-monnaie. À l’origine, les scénaristes touchaient chaque fois des «residuals» quand leur série ou leur show étaient rediffusés ou sortis en DVD. Dans le cas des services de streaming, les «residuals» ne sont quasiment jamais payés, quel que soit le succès. Ce n’est pas tenable d’après la WGA, d’autant plus qu’à l’heure actuelle quasi chaque ménage s’adonne à une forme de streaming. De plus, l’émergence du streaming a aussi bouleversé ce qu’on appelle la «writers’ room». Si vous avez eu l’occasion un jour de voir un «behind the scenes» de «Friends» ou de «Seinfeld», vous vous rappelez certainement l’image d’une dizaine d’auteurs autour d’une table, qui inventaient en improvisant des gags plus ou moins réussis. Dans les «writers’ rooms» avaient lieu des sortes de séances de brainstorming organisé. Par la suite, ils pouvaient encore réécrire les gags sur le plateau quand ils ne faisaient pas mouche auprès du public en direct. Pour réduire les coûts les services de streaming ont créé la «miniroom»: un plus petit groupe de scénaristes engagés pour une période plus courte. La réunion sur le plateau est désormais une exception, et plus la norme. La WGA veut aussi changer la donne en la matière.
Qu’en est-il de l’IA?
Si le streaming a porté le premier coup fatal aux auteurs, l’intelligence artificielle pourrait bien leur donner le coup de grâce. Lorsque les négociations ont débuté en mars dernier entre la WGA et l’AMPTP, les possibilités offertes par ChatGPT n’étaient plus un secret pour personne. Les scénaristes ont tout de suite su qu’ils devraient désormais se protéger, et leur job, contre l’IA, avant qu’elle ne se mette à diriger leur propre vie – comme cela s’est passé avec les services de streaming. La WGA veut noir sur blanc sur papier la garantie que les auteurs ne seront pas remplacés par l’intelligence artificielle. Ce qui signifie concrètement: l’IA ne peut pas intervenir dans l’écriture des brouillons des scripts, encore moins réécrire les scripts. Seulement, les producteurs n’en ont cure. Ils ont proposé des «assemblées annuelles pour discuter des progrès de la technologie». Un no-go pour la WGA, qui considère qu’il est de son devoir d’étouffer le danger dans l’œuf avant qu’il soit trop tard: «C’est maintenant ou jamais», a déclaré un porte-parole.
Et la suite ?
La grève de la WGA a reçu un soutien tous azimuts, du président Joe Biden aux acteurs comme Jason Sudeikis, Mark Ruffalo et Bob Odenkirk (photo en bas à gauche). Un soutien bienvenu, car on s’attend à ce que cette grève dure au moins six mois à un an. Le syndicat des auteurs a aussi pas mal d’expérience en la matière: en 2007-2008, il a déjà fait grève une centaine de jours. Cela a entraîné à l’époque une baisse de qualité et le report de très nombreuses productions hollywoodiennes, dont le film de James Bond «Quantum of Solace». Résultat: une perte de 2 milliards€ et une profusion d’émissions de téléréalité hyper bon marché comme «The Celebrity Apprentice», le show qui a fait connaître Donald Trump. Les pertes occasionnées par cette grève seront incalculables. Plus encore, il y a de fortes chances que la Screen Actors Guild (SAG), qui compte 160.000 membres, rejoigne le mouvement de protestation. Début juin, 98% des membres ont voté en faveur d’une grève si aucun accord n’était obtenu entre eux et l’AMPTP d’ici le 30 juin. Dans ce cas, tout le secteur serait à l’arrêt. En attendant, les producteurs tiennent bon. Ils pourraient encore travailler certainement un an avec le matériel existant. Seuls les réalisateurs ont actuellement un peu de répit grâce à un accord passé récemment avec l’AMPTP, incluant la protection contre l’IA.
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