Le workation, ou comment allier vacances et travail: est-ce que fonctionne vraiment?
Dans le monde, 20 à 35 millions de digital nomads se sont pliés à un mode de travail permettant de voyager. Poser ses valises et son ordinateur dans un lieu de villégiature porte un nom: le workation.
Derrière ce mode de travail, dont les retours d’expériences valorisent le bien-être obtenu, ce concept antinomique s’adapte selon les profils. Vous n’y trouverez pas les mêmes bienfaits en tant que salarié ou qu’indépendant.
Le worka… quoi?
Voilà des mois que l’on entend parler du «workation». Contraction des anglicismes «work» et «vacation», ce néologisme définit le fait de télétravailler dans un cadre flexible, traditionnellement réservé aux loisirs. Le workation est né dans un pays où les vacances se font rares: les États-Unis. Les travailleurs ont en moyenne 10 jours de congé par an.
Le développement du numérique a permis aux indépendants et autres employés du monde de la tech de prolonger les séjours de vacances en s’installant avec leur ordinateur, tapant sur leur clavier loin du quotidien plan-plan. Le soir, à midi ou entre deux réunions, ils peuvent profiter du cadre et décompresser.
D’après une étude de la plateforme Booking.com réalisée en 2020 auprès de 20.000 voyageurs dans 28 pays à travers le monde, 37% d’entre eux envisageaient de réserver un endroit de vacances pour y rester travailler. «Le travail à distance est irréversiblement devenu à la mode, avec comme effet que les gens chercheront à l’avenir à faire à des voyages plus longs combinant plus que jamais efficacement le travail et le plaisir», affirme Booking.com.
Benoît Raphaël, fondateur et directeur général de la startup française Flint, en fait partie. Un «aller-simple» direction l’Asie du Sud en poche, ce Français a pris un sac, son ordinateur et s’est envolé du jour au lendemain. Depuis Bali ou encore Bangkok, le cinquantenaire poursuit son aventure entrepreneuriale sans trop bousculer son mode de travail.
«Nous étions déjà en télétravail à temps complet avec mon associé», nous indique-t-il au téléphone depuis Bangkok, où il fait escale pour un mois. Et pour ce qui est du décalage horaire, «nous avons collaboré avec beaucoup de free-lances depuis Montréal par exemple, donc cette méthode de travail n’a pas trop changé», raconte-t-il. Il programme ses rendez-vous en fonction des fuseaux horaires français. «Au début, j’avais encore des réunions à 18h (13h en France), raconte Benoît Raphaël. Je ratais le coucher du soleil alors qu’à Bali, c’est un rituel». Depuis, il prévoit quatre réunions maximum l’après-midi et part en week-end sur une île déserte. «C’est un rythme à trouver», explique-t-il.
Ce mode de travail a pris de l’ampleur avec la pandémie de Covid-19. Entre 2019 et 2020, le nombre de digital nomads a augmenté de 49% aux États-Unis, selon un rapport de MBO Partners. Puis le workation a séduit le reste du monde. Il concerne désormais entre 20 et 35 millions de personnes. Et ce nombre devrait grossir dans les prochaines années.
Bien-être, créativité, productivité
Mais si l’idée même de travailler dans un lieu dédié aux vacances fait rêver, le concept interroge. Alors que la frontière entre vie privée et professionnelle a disparu dans beaucoup de foyers avec la généralisation du télétravail, la notion de bien-être dans le travail est devenue un sujet préoccupant. Dans la majorité des cas des workation, les retours s’avèrent positifs concernant la santé mentale, la productivité ou encore la créativité.
Benoît Raphaël affirme que ce départ lui a permis de prendre du recul sur ses méthodes de travail. «J’ai remis en perspective la notion de productivité. Je passe moins de temps à travailler, mais je suis plus efficace, en esquivant les interruptions et les réunions inutiles», affirme-t-il.
Depuis Bali, le niveau de stress du chef d’entreprise a considérablement baissé. Sa boîte n’étant pas encore rentable, la pression financière liée à son mode de vie a également diminué depuis son installation sur l’île. «La vie est moins chère et je coûte moins cher à mon entreprise», glisse l’intéressé avant d’affirmer que ce départ a été «bénéfique pour sa santé mentale».
Dans un mode de vie comme celui-ci, les indépendants auront plus de chance de trouver des avantages même au bout du monde, calés sur un autre fuseau horaire. «C’est vrai que lorsqu’on est salarié, on peut se retrouver en réunion à 1h du matin et dans ce cas, on ne profite pas trop», déclare Benoît Raphaël.
Un concept auquel tout le monde n’adhère pas. Albert Moukheiber, docteur en neurosciences et psychologue, peine à trouver le sens de cette invention qu’est le workation: «Soit on travaille, soit on est en vacances, mais on ne peut pas faire les deux. Ce concept cache finalement une appellation connue de tous afin de rendre le télétravail plus agréable dans un monde du travail en crise. D’un point de vue éthique, ça ne fonctionne pas. Est-ce qu’à l’inverse ça marche, le vacawork? Est-ce que je peux inviter des amis à boire une bière au bureau?», interroge-t-il.