Pourquoi sommes-nous autant fascinés par le naturisme?

Se connecter à la nature, libérer son esprit des diktats, se mettre à nu au sens propre comme au figuré… Les valeurs qui régissent le naturisme sont multiples, tout comme les lieux qui autorisent sa pratique. D’où vient cet attrait pour le naturisme?

par
AFP
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Plages, piscines, camping, randonnées… Au fil des ans, la liste des lieux où l’on pratique le naturisme ne cesse de s’agrandir. À Londres, le concept du restaurant tout nu cartonne. En 2018, la capitale française a défrayé la chronique avec l’organisation d’une visite (privée) du Palais de Tokyo réalisée dans le plus simple appareil, à l’initiative de l’Association des naturistes de Paris. Et depuis 17 ans aux États-Unis, on célèbre chaque année la journée mondiale du jardinage nu. Le naturisme est en effet en pleine expansion.

De manière encore marginale et confidentielle, la pratique s’étend jusqu’au domaine du privé. On trouve par exemple des annonces de colocations dans des «appartements naturistes» sur le net. Une pratique qui commence donc à s’immiscer dans le quotidien, même si elle s’illustre principalement dans la sphère touristique, dans laquelle elle puise d’ailleurs ses sources, souligne l’historien Arnaud Baubérot, auteur de l’ouvrage « Histoire du naturisme », paru en 2004.

Comment la pratique du naturisme a-t-elle évolué en Occident entre le XIXe et le XXe siècle?

À la fin du XIXe, un courant sociétal émane de personnes qui cherchent à vivre au contact de la nature et adapter un mode de vie sain. Une volonté de vivre autrement, par exemple en devenant végétarien, en privilégiant les médecines naturelles ou en prônant la réforme de l’éducation. Mais cela passe aussi par la révolution du vêtement, à l’époque encore très couvrant. On revendique donc le port d’habits plus légers, qui permettent de mettre sa peau au contact de l’air. Ce mouvement est particulièrement développé en Allemagne dans les années 1890-1900, mais beaucoup plus confidentiel en France.

Il faut attendre les années 20-30 avant que cela soit affilié à des pratiques de loisir. En Europe, on assiste progressivement à des évolutions des codes de pudeur. Le naturisme se structure ensuite avec l’expansion du tourisme de masse en Europe de l’Ouest dans les années 50, notamment le développement des campings et des centres de vacances.

Ces lieux participent à l’économie du tourisme en France, ce qui fait que le naturisme a acquis une certaine légitimité par le biais des loisirs. Les groupes officiels comme la Fédération française de naturisme [fondée en 1950] entrent en contact avec les pouvoirs publics. Puis, on arrive aux années 60 et 70, où l’hédonisme et la libération des corps deviennent des valeurs fortes du naturisme.

Que disent ces pratiques de notre rapport à la nudité?

La nudité reste problématique d’un point de vue social. En France, elle reste associée à de l’exhibition (d’un point de vue juridique) lorsqu’elle est pratiquée dans des lieux publics qui ne bénéficient pas d’autorisation municipale pour le naturisme. Ce qui pose la question suivante: peut-on envisager la nudité comme non sexualisée? Déjà au début du XXe siècle, le fait d’exposer ses parties génitales était fortement associé à la sexualité en France, alors que c’était par exemple moins le cas en Allemagne. Chez nous, ce cap ne semble toujours pas avoir été franchi.

L’un des enjeux de l’acceptation sociale de la nudité repose dans le principe de désérotisation. On s’est habitué petit à petit au naturisme pratiqué dans un cadre que l’on perçoit comme naturel, comme un parc ou une plage. Mais dès lors qu’elle intervient dans un cadre du quotidien, comme un restaurant ou un café, elle surprend davantage et devient a priori plus implicitement érotique.

La question est d’autant plus complexe que, lorsque le naturisme a commencé à être associé à la nudité collective, un certain nombre de personnes se sont emparées du terme pour le détourner en associant le mot «naturisme» à des contenus pornographiques.

Notons aussi que certaines communautés naturistes défendent aussi l’idée d’amour libre à travers cette pratique, notamment les anarchistes naturistes, bien qu’ils restent minoritaires. Certains vont penser que le «vrai» naturisme n’a rien d’érotique, tandis que d’autres vont l’associer à une révolution sexuelle. Ce débat, encore actuel, existe donc en réalité depuis assez longtemps.

Quelle(s) différence(s) entre nudité et naturisme?

Le naturisme s’inscrit dans une démarche militante. Si on fait du sport dans un gymnase et qu’on prend une douche dans un vestiaire collectif, on est nu, mais ce n’est en aucun cas du naturisme! Alors que se rendre volontairement dans un centre naturiste pour se déshabiller en collectivité renvoie à une volonté de rejoindre une communauté dont on connaît et partage les valeurs. Ce n’est pas du tout le même état d’esprit.

On associe aussi souvent le naturisme à une volonté de se connecter à la nature…

C’est vrai que ce lien a toujours existé, il est même à l’origine du naturisme! Aujourd’hui, il est fortement associé aux préoccupations relatives à l’écologie et à l’environnement, qui deviennent de plus en plus importantes. Ces valeurs reposent, entre autres, sur le respect que l’on porte à la planète, ainsi que sur notre relation à la nature et au vivant.

On retrouve d’ailleurs une autre forme de discours humaniste et positif autour du naturisme dans les années 1920. Les premiers naturistes militants défendaient en effet l’idée selon laquelle le fait de se voir mutuellement nus entre hommes et femmes favorisait le respect, dans la mesure où l’on apprend à percevoir le corps de l’autre autrement que comme un objet de désir.