Pourquoi les orques font-elles chavirer autant de yachts?

Panique en mer: un groupe d’orques attaque des bateaux dans le secteur du détroit de Gibraltar. Depuis 2020, plus de 500 signalements d’orques agressives prenant pour cibles des yachts et des bateaux de pêche dans la zone ont été effectués. Récemment, une orque a fait de même en Norvège, à près de 3.000 kilomètres de là. Que se passe-t-il avec ces animaux généralement paisibles?

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Lien Delabie
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Les marins doivent être sur leurs gardes dans le détroit de Gibraltar. Cela fait déjà trois ans d’affilée que des orques font régulièrement chavirer des bateaux. Surtout des bateaux à voile. Certains s’en sortent avec quelques dégâts, d’autres sont moins chanceux. En juillet 2022 par exemple, trois bateaux ont coulé après une attaque coordonnée supposée de quelques orques. Au départ, il s’agissait encore d’incidents sporadiques mais, cette année, c’est devenu incontrôlable. Rien qu’en mai, il y aurait eu 20 attaques. L’«Atlantic Orca Working Group» parle d’une augmentation de 298% des interactions orques/bateaux entre 2020 et 2023. Links-Twitter voit même dans l’attaque des yachts qui valent des fortunes un complot socialiste dans le cadre duquel des «orcamarades noient les riches». On n’en est pas encore là – on ne déplore pour l’instant encore aucune victime – mais la situation risque de s’aggraver maintenant que le même comportement a été observé en Norvège, où le bateau d’un plaisancier néerlandais de 72 ans, Wim Rutten, a reçu quelques bons coups de butoir d’une orque. Tout a commencé par de «légères secousses». Ensuite, le cétacé a brièvement disparu, avant de revenir pour foncer dans le bateau «à grande vitesse, deux ou trois fois», puis en «faire le tour» à plusieurs reprises. On ne sait pas encore avec certitude ce qui est à l’origine de ce comportement des orques. Ces mammifères figurent parmi les plus intelligents du règne animal et n’ont pas l’habitude d’attaquer les hommes. Il existe toutefois plusieurs théories sur les motivations du gang d’orques qui sévit le long des côtes ibériques.

1. Le traumatisme de Gladis

Une théorie récurrente est celle du traumatisme de Gladis, une des orques des côtes espagnoles. Des chercheurs supposent qu’elle aurait suivi un bateau par curiosité et qu’elle s’y serait cognée. Elle aurait par la suite appris à de jeunes orques à attaquer les bateaux.

2. Le combat pour le thon

Il n’est pas non plus inconcevable que des orques aient engagé le combat avec des pêcheurs pour le thon. «Les orques et les pêcheurs chassent le thon rouge. Il y a là une zone de tension», a expliqué le biologiste marin Jeroen Hoekendijk du Nederlands Instituut voor Onderzoek der Zee. Cela peut jouer pour les côtes espagnoles, mais cette zone de tension «manque» selon lui dans les eaux situées entre l’Écosse et la Norvège, où l’orque a attaqué le bateau néerlandais. On y pêche le hareng et le maquereau, et les pêcheurs et les orques semblent s’y gêner beaucoup moins.

3. Des délinquants juvéniles au mauvais passe-temps

La théorie la plus en vogue est celle d’un gang de jeunes orques qui trouvent tout simplement très amusant de faire chavirer des bateaux. Elles sont poussées par leur curiosité envers des choses qu’elles ne connaissent pas. «Je pense qu’elles ont eu une expérience précédemment, qu’elles ont trouvée plaisante. Ce qui les stimule à réitérer ce comportement», a expliqué la chercheuse Astrid van Ginneken à RTL Nieuws. «Et ensuite il suffit d’une ou deux jeunes orques qui se disent: moi aussi. Et cela peut devenir une habitude.» Ces animaux intelligents sont en effet connus pour lancer et suivre des «tendances» (voir encadré), et certainement les plus jeunes d’entre eux. Il se pourrait donc que Gladis et ses camarades délinquantes considèrent que cette activité est un loisir trendy. Les scientifiques sont d’avis que quand elles seront adultes, elles n’auront plus ce mauvais comportement.

Cette tyrannie prendra-t-elle fin?

Le fait que le problème ne se limite plus aux côtes ibériques suscite des inquiétudes, même s’il est encore trop tôt pour paniquer. Il s’agit pour l’instant d’un fait isolé en Norvège, on ne peut donc pas dire grand-chose de la motivation de l’orque agressive. Par contre, les scientifiques sont certains qu’il ne s’agit probablement pas d’une orque de la colonie espagnole. De plus, il y a peu de probabilités que l’orque norvégienne ait appris ce comportement des groupes espagnols, mais ce n’est pas impossible. Les touristes en bateau – et les nantis avec leurs yachts – doivent-ils désormais se méfier des orques rebelles? Pas nécessairement. Ces comportements d’intimidation ne sont pas fréquents. Bien entendu, dans le Détroit de Gibraltar, prendre quelques mesures de précaution, comme une installation de mariphonie pour alerter les garde-côtes en cas de problème, ne peut pas faire de mal. Et, en attendant, reste à espérer que cette «mode» chez les orques passe rapidement.

LA MODE DU CHAPEAU SAUMON

L’intelligence et les compétences sociales des orques ont plus d’une fois stupéfié les scientifiques. En 2004, un article paru dans la revue spécialisée «Biological Conservation» a décrit une mode plutôt bizarre chez les orques en 1987. À l’époque, une femelle orque vivant dans le Pudget Sound, près de Washington, avait décidé de porter un saumon mort en guise de chapeau. Cette mode s’est propagée de façon virale dans sa communauté. Peu après, deux autres individus ont suivi son exemple. Pendant six semaines, les cétacés se sont coiffés chaque jour d’un poisson mort à la nouvelle mode. Mais tout comme les hand spinners et les sautoirs à moustache chez nous, cette mode a disparu aussi vite qu’elle est apparue. L’été suivant, quelques orques auraient tenté de relancer la mode du chapeau poisson, mais sans succès.

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